LES FILLETTES SUR LE MONT

Cet été, j’ai fait un truc sympa avec mes filles. La traversée à pied de la baie du Mont-Saint Michel. Elles m’ont épatée. 7 kilomètres sans moufter. Pour la peine, j’en ai ajouté trois pour rejoindre le parking, vu que les navettes étaient bondées. Nous avions un guide et nous faisions partie d’un groupe assez nombreux. Parmi les autres touristes, j’ai repéré quelques enfants. Quatre-cinq fillettes qui avaient autour de dix ans. Deux garçons ados. Je n’arrivais pas à voir qui étaient leurs parents. Très vite, mes filles m’ont abandonnée sans vergogne alors que je pataugeais dans la vase pour se rapprocher des autres bambins. Mais comme mes filles sont de gentilles filles, elles revenaient de temps à autre pour s’assurer que je tenais le coup, me faire leur rapport et me poser des questions. C’est comme cela que j‘ai appris que les fillettes étaient des enfants de la Ddass, et qu’elles étaient en vacances sous la supervision d’un couple d’éducateurs. J’ai senti Nina très perturbée ; elle répétait : « elles n’ont pas de mère ni de père ». J’avais l’impression qu’elle allait pleurer. Elle n’arrivait pas à comprendre cette injustice : comment des enfants pouvaient-ils grandir sans parents, sans leur affection ? Comment un enfant peut-il grandir, seul ? Je me suis approchée à mon tour du petit groupe. Elles étaient vivaces, sympathiques et elles semblaient structurées. Pendant les trois heures de balade, on a beaucoup discuté. Il y avait deux sœurs. La plus jeune -je ne me souviens plus de son prénom- devait avoir dix ans. Elle m’a raconté très naturellement, sans honte, sans émotion, son histoire. Sa mère, qui avait des problèmes psy, qu’elle voyait une fois par mois dans un centre, en présence de tiers. Je ne me souviens pas qu’elle ait évoqué son père. Des familles d’accueil à qui elle avait été confiée depuis son plus jeune âge, pour des périodes plus ou moins heureuses. J’avais envie de la prendre dans mes bras, de la serrer très fort, parce que les enfants, ça a besoin de bras aimants pour grandir. Nina m’a dit : « maman, tu peux pas les adopter ? ». J’aurais voulu lui répondre, oui, je les adopterais tous, je pourrais les aimer tous, parce que j’aime les enfants, tous les enfants, je pourrais m’en occuper, leur donner tout ce dont ils ont besoin pour grandir, mais ce n’est pas possible. Ce n’est juste pas possible. On est arrivés sur le Mont. Chacun est parti de son côté. On s’est recroisés dans les ruelles étroites qui portent au sommet. J’ai remarqué que les enfants buvaient canette sur canette et n’arrêtaient pas de manger des bonbons. Il y avait toujours le couple d’éducateurs avec eux mais j’avais l’impression que leur mission se limitait à faire acte de présence. Ça m’a mise en colère. Déjà, ces mômes n’avaient pas de chance car leur histoire les avait privés de parents à plein temps, mais en plus les adultes qui gravitaient autour ne semblaient pas faire grand cas d’eux. Ils semblaient ne pas avoir noté que toutes les fillettes étaient en surpoids, en manque affectif, ils ne semblaient pas vouloir s’investir vraiment auprès d’elles parce que ça voulait dire aussi mettre des limites, les frustrer, les recadrer. C’est pas toujours un job sympa de faire l’adulte avec des enfants, c’est ingrat, c’est épuisant mais c’est nécessaire, d’abord pour les enfants. On a pris le car avec tout le groupe pour rejoindre le parking où se trouvaient les voitures (c’est une excursion compliquée), le couple d’éducateur s’est installé à l’avant pour se faire des mamours et les enfants se sont éparpillés à l’arrière. Une des fillettes s’est installée près de moi. Elle m’a dit qu’elle irait au collège, en sixième à la rentrée. Elle m’a dit qu’elle appréhendait. Elle parlait beaucoup. Elle avait une voix douce et une grande maturité. Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas se faire d’amis, car elle devait réussir ses études avant tout. On a parlé pendant tout le trajet et quand on est arrivés, elle m’a dit merci. Le groupe d’enfants est reparti avec le couple d’éducateurs (on va plutôt les appeler les accompagnateurs). Mes filles ne voulaient pas quitter leurs nouvelles copines. Et puis à notre tour, on s’est éloignées.

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