Monseigneur Bidet

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Mes amis italiens adoooorent la France. Mais il y a une chose qui provoque chez eux une véritable indignation voire des palpitations parmi les cœurs les plus tendres : l’absence de bidet dans les toilettes de leurs voisins français. Cette négligence impardonnable, indigne d’un peuple qui prétend incarner le chic aux yeux du monde entier, est le motif de railleries : dans les dîners en ville, les Français sont les cracras-les crados. Ils n’hésitent pas à exhumer cette vieille rengaine d’un chanteur populaire qui ne craignit pas de crier tout haut son aversion pour le dit-objet : « il est bô le lavabo, il est laid le bidet…. » (les plus cultivés d’entre vous reconnaîtront cet artiste de renommée planétaire). Il ne suffisait pas que l’histoire ait fait de ce peuple des sans-culottes, leur nature grossière a fini de les consacrer sans-bidets. De là, affirment les persifleurs, le talent français pour les parfums et onguents, et autres frivolités, tels les papiers toilettes aux relents de jasmin et de rose, destinées à masquer son aversion pour son propre caca …

Arrêtons-nous un instant. Ignorons la moutarde qui monte au nez de tout Français normalement constitué à la lecture de ce portrait assassin et réfléchissons à cette question fondamentale : pourquoi n’y a-t-il plus de bidet dans les toilettes françaises et pourquoi les maisons italiennes ont-elles souvent deux salles de bain, deux wc et deux bidets ? Pourquoi un tel écart entre ces peuples pourtant si proches ?

En matière de bidets, le monde est divisé : d’un côté, les pays à bidets, de l’autre les pays sans. Dabord, ceux qui n’ont aucune tradition historique liée aux bidets : Etats-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni… Au contraire, les pays d’Asie, du Moyen-Orient, certains pays d’Amérique du Sud ne peuvent s’en passer. La vieille Europe a longtemps fait usage de cet instrument avant de connaître une fracture : les latins ont protégé leur bidet, Italie, Portugal, Grèce et Espagne en tête ; la France l’a abandonné après la seconde guerre mondiale. On imagine sans mal la raison principale de cette soudaine et irréversible désaffection : l’espace. Des choix d’aménagement intérieur ont été arrêtés, les architectes ont tranché condamnant le bidet aux archives de l’histoire et nos fesses à la seule caresse du papier.

Les Italiens ont fait un choix opposé. Non seulement ils ont maintenu leur adorato bidet, mais mieux que cela, ils ont fait de la salle de bain, une pièce stratégique de leur intérieur. Ainsi si vous souhaitez acheter un bien en Italie, assurez-vous qu’il possède bien deux salles de bain, amples et lumineuses. A la revente, si vous persistez à vous contenter d’une salle de bain, comme tout Français moyen, vous affronterez des regards écœurés, des mines dégoûtées voire profondément choquées avant d’être traité tout bas de « sporcaccione di Francese » et de voir s’éloigner vos chances de revente…

Bref, les Italiens souffrent quand ils traversent la frontière. Leur bidet leur manque. Cet attachement trahit leur besoin constant de confort. Peut-être cela explique-t-il pourquoi les Italiens sont si attachés aux valeurs classiques et sûres, aux marques (« dov’è c’è Barilla, c’è casa »), qui les prémunissent contre les mauvaises surprises. Quand ils voyagent, ils optent pour l’hôtel ou la location de vacances. Très peu pour eux l’échange de maison, les plans cabanes ou yourtes…

Je vous vois sourire. Pourquoi ? Sur le fond, les Italiens n’ont-ils pas raison ? Pourquoi les Français ont-ils un jour décidé de délaisser cette partie de leur corps, de ne plus la toucher ou d’entrer en contact avec leurs selles ? Pourquoi ce tabou ? Notre hygiène corporelle, notre rapport au corps, à ses fluides, ses sécrétions, se nourrit de notre définition du « sale » et du « propre ». Entre l’obsession hygiéniste italienne et le laisser-aller français, il y a sûrement un juste milieu à trouver.

Et au fond, un bidet, ça n’a jamais empêché de penser.

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