Chronique « Petit pays » de Gaël Faye

Il y a dans le titre une promesse. Dans « Petit pays », on attend le récit d’une tendresse, d’une affection, d’un lien indéfectible et innocent à une terre aimée, peut-être lointaine, peut-être disparue. Il y a l’amour, donc.

Celui que Gabriel, jeune garçon tout juste sorti de l’enfance, protagoniste et narrateur, tente de préserver comme on essaie de protéger quelque chose de précieux mais que l’on pressent déjà perdu. Le petit pays de Gabriel n’existe plus. C’est un pays qui appartient au monde de l’enfance. C’est un pays parfumé et merveilleux, où l’amitié, les rires d’enfants mettent à l’abri du monde compliqué et incertain des adultes. C’est une guerre perdue d’avance et Gabriel le sait. Que peut l’enfant face au monde ? Que peut l’enfant face au chaos du monde ? Ce qui monte inexorablement dans ce récit, c’est aussi le spectre de la violence. Gabriel voudrait retenir la violence qui vient, qui monte comme une vague décidée à tout ravager sur son passage. Mais il est un enfant qui assiste, impuissant, à la défaite des hommes de raison, qui voit sa mère revenir plus morte que vivante, après avoir traversé les territoires où la violence a effectué son travail de déshumanisation pour ne laisser que des ombres.

Comment raconter la grande tragédie ? Comment raconter le génocide rwandais, l’immensité de la tuerie qui n’a épargné personne ? Est-ce seulement possible quand le vertige des chiffres annulent l’humain et nous détournent de l’essentiel : du calvaire ?

Il faut retourner au chiffre 1 pour saisir l’ampleur d’une tragédie et ressentir dans sa chair le réel du drame vécu. Les photos de groupes à la dérive nous émeuvent certes, mais la détresse que nous lisons dans le regard d’un homme, d’une femme, d’un enfant nous renverse et peut nous poursuivre des heures, des semaines, une vie.

Gael Faye se met à la hauteur d’un enfant, Gabriel, et c’est à travers ses yeux que nous assistons à la descente aux Enfers. Enfant d’un expat français et d’une réfugiée rwandaise, il vit dans un cocon, protégé, à Bujumbura, au cœur du Burundi, pays voisin du Rwanda. Mais Gabriel sent cet été-là le vent tourner. Il sent l’air se remplir de passions obscures, il sent les haines anciennes se réveiller, il sent que dans peu de temps plus rien ne sera jamais pareil. Il sait qu’il ne sera jamais aussi heureux qu’il ne l’a été avant.

Gael Faye,  septembre 2016.

La première violence que subit Gabriel, c’est d’être sommé de choisir son camp. Il tente de résister, il s’y refuse de toutes ses forces : il n’est qu’un enfant. Un enfant devrait être tenu à l’écart des histoires de haine, il pense que cela ne le regarde pas, il ne veut pas y prendre (sa) part. Mais il sent l’enfance lui échapper, en même temps que son innocence lui est arrachée le jour où il tue un homme. Ce jour-là, la violence entre en lui comme une épine empoisonnée.

Tout est fini. Il n’y a plus rien à faire qu’à partir. Qu’à quitter cette terre envahie par la haine, habitée par des hommes aveugles et sourds qui ont abandonné leur raison.

Dans « Petit pays », le drame a le visage de Pacifique, l’oncle chanteur et charmeur, le visage de la mère de Gabriel, d’Armand dont le père tombe dans une embuscade, le visage du père de Gabriel, tué après avoir envoyé ses enfants en France, la gueule de Tornade, le cheval torturé par des gamins qui, au cours de cet été moite, chargé de toutes les haines, ont pour toujours renoncé aux jeux d’enfants. La mort alors n’est plus une défaite mais juste une habitude qui ravage en silence ceux qui lui survivent.

Un livre puissant, servi par une langue toujours juste et qui nous habite longtemps. Un livre qui nous renvoie à hier, à ce massacre auquel nous avons assisté en direct et pour lequel nous n’avons pas levé le petit doigt. Il nous renvoie à aujourd’hui, aux massacres auxquels nous continuons d’assister en direct et pour lesquels nous levons le sourcil et toujours pas le cul. Il nous renvoie à demain et à la seule question que nous devrions nous poser : crois-tu que tu seras toujours épargné ?

Petit pays, de Gaël Faye, Grasset, 224 pages.

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