First time in Paris

avion  J’avais tout fait pour paraître exécrable et elle m’avait fichu la paix. Je n’étais pas d’humeur à répondre à ses questions : « First time in Paris ? », puis à l’écouter roucouler: « oh, I love Paris, you will love it too ». Devant mon silence, ma voisine avait haussé les épaules et soupiré. Elle avait recouvert ses yeux d’un masque fuchsia et s’était endormie. Bercée par son souffle, je regardai à travers le hublot, ressassant les idées noires qui m’accompagnaient depuis que la lettre était arrivée. Elle avait réveillé un passé auquel j’avais renoncé. Elle avait ravivé une plaie que j’avais crue pansée depuis longtemps.

Pourtant, la colère était toujours là, intacte, aussi forte que le jour où ma mère m’avait appris la vérité sur mon père. J’avais dix-huit ans. Elle avait pensé que j’étais suffisamment grande pour entendre une vérité aussi cruelle qu’insupportable. Il nous avait abandonnées, sans se retourner. Il était rentré chez lui, à Paris, nous oubliant elle et moi, nous enterrant au fond de sa mémoire. Et voilà qu’il était mort, et qu’il se rappelait à nous ! Comme c’était ironique. Cet homme avait refusé de compter de son vivant dans mon existence. Pensait-il que son argent rachèterait ce dont il m’avait privé ?

Devant ma réticence, ma mère avait doucement insisté : « honey, may be it’s time… ». Temps pour quoi faire ? Pour découvrir Paris, ses femmes si chic, sa tour Eiffel si arrogante, son vin si capiteux ? Je détestais cette ville. J’exécrais ce pays, empêtré dans sa suffisance. Je m’étais obstinée quelque temps, puis j’avais fini par céder. Je ne voulais pas faire de peine à ma mère. Elle m’avait accompagnée à Newark et sa silhouette gracile était restée longtemps accoudée au bastingage. Peut être avait-elle eu peur que je change d’avis, que je rentre à la maison.

paris photo noir et blanc parc luxembourgAprès l’atterrissage, j’avais récupéré ma valise et m’étais dirigée vers la borne de taxis. J’avais extirpé le bout de papier sur lequel j’avais griffonné l’adresse de mon hôtel et l’avais tendu au chauffeur, un type rougeaud, court sur pattes et moustachu. J’avais souri intérieurement. Il n’y avait qu’en France que les hommes portaient des cheveux sous le nez !


L’hôtel, choisi par ma mère, était situé au cœur du Quartier latin. « 
Honey, you will love it », m‘avait-elle assuré. Je l’avais laissé faire, sentant que cela la rendait heureuse. Je pris une douche et, n’ayant pas sommeil, décidais de visiter le quartier. J’avais du temps devant moi, le rendez-vous chez le notaire n’étant prévu que pour le lendemain.

La matinée était douce et les rues commençaient à s’animer. Je tombais nez à nez avec le Panthéon, dédié aux « Grands Hommes ». Plus loin, je descendais la rue Mouffetard. Les petits commerces, le marché, les cafés me donnaient l’impression de flâner dans une carte postale. Je poursuivis : rue Monge, Maubert Mutualité, boulevard Saint-Germain, Saint-Michel. Je nageais dans les clichés que j’avais toujours moqués pourtant je devais reconnaître que mes découvertes se révélaient une succession d’enchantements. Mes jambes me portaient, increvables. Paris photo vue des quais de seine soiréeJe restais en arrêt devant la majesté de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les touristes se pressaient dans une file joyeuse et bruyante. Le ciel clément et le soleil de fin d’été me détournèrent de l’envie de goûter à la pénombre de l’endroit. J’achetai un sandwich et descendis les quais de Seine pour manger près de l’eau. A quelques mètres, un africain frappait vigoureusement sur son djembé. Souriant, heureux, il semblait vouloir transmettre au monde entier sa joie de vivre et de jouer. Je fermais les yeux, me laissant transporter par le rythme de la musique. Un sentiment de paix m’envahit. Pour la première fois depuis des semaines, mon esprit semblait connaître un répit. Je pensais à cet homme que je n’avais pas connu, cet homme qui était mon père. Avait-il lui aussi aimé lézarder au soleil, bercé par les percussions d’un musicien ? Avais-je rencontré le Paris de mon père ou étais-je seulement une touriste égarée dans une ville étrangère ?

Le rendez-vous chez le notaire me troubla plus que je ne l’aurais imaginé. L’interprète traduisait les termes du testament et je me sentais me liquéfier. C’était des mots d’amour et de tendresse, des mots qui disaient le regret et demandaient pardon. Des mots que j’avais attendus longtemps et que j’avais fini par ne plus espérer. Je fis un effort immense pour ne pas éclater en sanglots et garder une contenance. Je suis américaine. Les Américains ne doivent pas paraître sentimentaux. Dans le bureau du notaire se trouvaient également Brigitte, la sœur de mon père, et Alain, son compagnon. Ils se tenaient en retrait et m’observaient sans mot dire. A la fin, avant de nous quitter, Brigitte me prit par le bras et me dit, dans un mauvais anglais : « nous voudrions t’inviter à la maison ». J’étais bouleversée. Cette femme, cette inconnue, ma tante, voulait me connaître. Sans réfléchir, je bégayais un timide « oui ». Un grand sourire éclaira son visage et elle me laissa son adresse.

Je rentrai à l’hôtel et m’étendis sur mon lit, tremblante. Avais-je bien fait d’accepter ? Ne valait-il pas mieux laisser toute cette histoire tranquille, ne pas revenir dessus au risque de me faire mal ? J’étais tentée d’annuler, de prétexter une fatigue : « Sorry Brigitte, jet-lag, you know ? », mais je repensais au sourire de cette femme qui ressemblait tant à celui que j’avais discerné sur certains vieux clichés de mon père.

J’avais peur, j’étais terrorisée. Mais j’étais là et je devais faire face. Oui, ma mère avait raison : « it’s time ». Je sonnais à la porte. Des pas se firent entendre et l’instant d’après, le visage lumineux de Brigitte apparut : « oh, I’m so happy », fit-elle en me prenant dans ses bras.

Je n’ai pas pleuré. Je suis Américaine, vous savez. Enfin, quelques gouttes seulement. C’est que je suis aussi un peu Française, you know.

Illustration principale : © Michel Guyot

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