MES ETOILES FILANTES

étoiles-filantes-carnet-voyage-vietnamQuand je rentre d’un voyage, au début, je suis toute excitée : faut que je partage avec la terre entière mes enthousiasmes, mes découvertes (vas-y, trop bien, mégacool). Et puis, très vite, je me referme. C’est l’heure de la mélancolie. En moi soufflent des vents contraires. Je pense aux visages de ceux que j’ai croisés, je souris en pensant à ces heures, ces jours passés ensembles mais je réalise que j’ai perdu la moitié des prénoms déjà. Je sais aussi que dans la plupart des cas, je ne les reverrai pas. J’ai envie de te parler d’eux, pour leur dire merci, pour leur dire au revoir, parce que j’ai peur de les perdre complètement dans les replis profonds de ma mémoire. Je le ferai en vrac, parce que ma mémoire est encore en plein jet-lag.

Le premier qui me vient en tête, c’est un Français vivant en Suisse (mais il avait pas l’air de porter les Suisses dans son coeur…). C’est pas par hasard que je commence par lui, c’est parce qu’il a créé un blog qui s’appelle Bestfriendsforaday (ça doit être ça, j’ai perdu sa carte), et ça résume bien la couleur des rencontres sur la route. On se croise, on se chope au passage et, si le courant passe, on continue un bout de chemin ensemble.

Lui, c’est Olivier, il est photographe, il sort d’une déception sentimentale, il voyage avec un truc bizarre dans son sac, un drone (trop chelou, le mec, ça doit être un espion, j’ai pensé, en plus il avait un catogan et il ressemblait à Luc Besson). On se rencontre à Hanoï au petit matin et on prend le bus ensemble jusqu’à Cat Ba. Pendant le trajet, on se raconte nos vies, on se donne des conseils comme deux vieux potes. On se lâche parce que j’ai réservé dans une de mes guesthouses pourries (celle-là, elle aurait pu remporter la palme) et lui dans un hôtel « normal », le salaud.

Je me souviens de Jordan, aussi, une fille plantureuse de Nouvelle-Zélande : trop cool, la fille, trop stylée, en plus je remarque qu’on a acheté le même pantalon. C’est une Maori, c’est à dire qu’elle ressemble à Joe l’Indien (notez les remarquables références) en fille. On fait une soirée karaoké dans la fameuse guesthouse de Mui Né. Bon, elle passe plus de temps à fumer et à planer qu’à participer, mais elle applaudit bien. La dernière fois que je l’ai vue, elle m’a fait, avec un air entendu, « you wanna smoke weed ? » et elle s’est barrée, sans attendre ma réponse. Regrets. J’ai chanté « je viens du Sud »pour me consoler. Et j’ai cassé l’ambiance.

Après il y a eu les copains d’Amérique, Tristan et Devin. Quand tu vois un garçon et une fille voyageant ensemble, tu penses automatiquement que c’est un couple (ouh, tout de suite, les clichés). Mais ces deux-là, ils formaient une drôle de paire, un peu comme Laurel et Hardy. A Tristan, j’ai dit tout de suite : « tu as l’air d’être un artiste, j’te vois bien en écrivain flippé et frustré postant des textes par milliers sur FB », tout ça en anglais, hein. Je reconnais que son teint clair, ses yeux bleus, sa silhouette malingre et son prénom romantique m’ont bernée. Le truc de Tristan, dans la vie, c’est pas d’écrire, non, c’est de manger, boire des smoothies et exploser Tinder. Et voyager aussi. Putain, mec, je savais pas qu’un passeport pouvait être aussi épais qu’une Bible. En plus le sien était plein de tampons de pays que tu saurais pas situer… Comme j’ai remarqué très vite que c’était un morfalou, je lui ai demandé : « comment tu fais quand tu vas en Afrique ? Tu dois souffrir au niveau du ventre ? ». « Je m’attarde pas », il m’a répondu avec le regard douloureux de celui qui a connu la faim.

Son amie, Devin, future prof de collège à Philadelphie, était très différente. Plus douce et moins rodée au voyage en routard que Tristan, elle passait DES HEURES au téléphone TOUS LES MATINS avec son nouveau chéri resté aux US. Mauvais plan de partir avec un gars dans la tête. J’ai voyagé avec Tristan et Devin une dizaine de jours, on a partagé des moments intenses et j’ai vu leur relation se détériorer. Comme une grande sœur (vu que j’avais presque le double de leur âge), j’ai voulu leur faire profiter de mon expérience pour qu’ils s’apaisent, pour qu’ils comprennent qu’ils s’aimaient au fond, que tout ça c’était la faute de la promiscuité, du voyage, parce que c’est pas sympa les voyages avec les amis,mec, c’est dur, c’est violent, même. Rien à faire. Rupture consommée à Phnom Gah.

Il y a eu Ahmed, ingénieur égyptien, travaillant à Dubaï. On a partagé le même kayak dans la baie d’Halong. Ahmed, c’est le sourire permanent. Putain, mec, j’ai jamais vu quelqu’un avec autant de dents. Pas seulement. Son sourire à lui, il venait de l’intérieur. Et ses yeux, ils étincelaient. Ahmed, c’est une étoile. Il était en plein questionnement existentiel ; tout en pagayant adroitement dans la plus belle baie du monde, il se demandait s’il devait retourner au boulot ou tout quitter et s’offrir un voyage autour du monde. J’étais à fond derrière la deuxième option. Mon cœur a saigné quand il m’a appris, il y a quelques jours, qu’il était rentré dans le rang. Vie et mort d’une idole.

J’ai connu Agniesz, journaliste polonaise, végane motivée, vivant en France.. On s’est croisées à Hoi An. Je barbotais dans la piscine d’un mètre de profondeur de notre hôtel (le Hilton de mon voyage) et on a parlé pendant presque une heure, j’ai cru que j’allais me transformer en sirène. Une belle, une vraie rencontre. De celles, rares, qui te font penser : on a des choses en commun, on a des choses à se dire. J’espère la revoir. En attendant, c’est ma nouvelle copine FB, ouais !

J’ai rencontré un autre drôle de duo : les Québécois Jeanne et Charlie. Les Québécois, quand ils ouvrent la bouche la première fois, tu restes choqué, tu marques un temps d’arrêt parce que t’imagines que t’as mal entendu, puis tu réalises : « ah ouais, d’accord ». Mais bon, ils sont tellement sympas que tu fais plus trop gaffe à leur accent, tu penses juste : « dommage ». C’est comme quand j’ai vu le film « Incendies » de Denis Villeneuve, drame d’une noirceur absolue. Les premières minutes, j’ai essayé de le regarder en VO, comme d’habitude, mais un film dramatique avec l’accent québécois, c’est juste pas possible, ça donne :
– Crisse, maman est morte.
– Tabarnak, va falloir retrouver notre frère au Liban.
C’est quand même bizarre.
Bref, je rencontre Charlie et Jeanne, dans un bus. On a réservé la même excursion dans le Mékong. Comme de mauvais élèves, on est au fond du bus (erreur: on a passé notre temps à sautiller comme des grenouilles sur nos sièges). Lui, il sue à grosses gouttes et il a pleins de feuilles étalées sur les genoux. Qu’est-ce qu’il fabrique, je me demande. « J’étudie le parcours, tabarnak ! ». Ben pourquoi il y a des graphiques, des camemberts ? « j’étudie le coût de la vie, tabarnak ! ». Putain, le mec, il a préparé une thèse pour son voyage. C’est vrai qu’ils voyageaient 52 jours. C’est bien, 52 jours pour se détendre. Un peu plus tard dans mon voyage, je retrouve Jeanne, au bord de la piscine. Elle a les nerfs à fleur de peau. On parle de tout, de rien. Et soudain, elle craque : « je sais pas si je vais tenir longtemps avec Charlie, il est insupportable ! ». On baisse la voix. Ambiance confidences entre femmes. Le gars est au fond de son lit, à se tordre les boyaux. La turista, ça a pas de pitié pour les grands baraqués. Elle me dit : « il m’a fait pleurer, il m’a gueulé dessus parce que je parlais pas assez fort dans le bus ». Aux dernières nouvelles, le duo résiste encore. Courage, Jeanne…

Et puis, il y a Marion et François, les normands de Paris. Un couple de cinéma, beau à te faire rêver. Lui, boucles blondes et yeux bleus intenses, comme un Petit Prince qui aurait grandi. Elle, sublime comme une Ava Gardner bronzée qui aurait appris le français… Et puis leur voyage… Putain, leur voyage… Dix-huit mois ensemble, les yeux dans les yeux à explorer la planète, t’imagines,mec ?… La vraie aventure, sans google, sans prendre le bus, ni l’avion : Laos à vélo, Vietnam à moto, Japon-Brésil, en bateau-stop, Thaïlande à dos d’âne (non, je rigole)… Du roots, du vrai. Où s’arrêteront-ils ? «C’est bon surtout quand t’en as chié », m’a expliqué François, avec un air gourmand. J’ai compris l’esprit le dernier soir à Hanoï. Après une nuit blanche passée tous ensemble (yes, I did it!), on a regardé l’aube se lever sur le lac. Il y avait un banc. Je me suis assise dessus. Et ben, mes nouveaux copains, tu le croiras pas, ils se sont assis par terre. Tranquilles, le plus naturellement du monde,ils sont entrés en communion avec le bitume. Putain, mec, c’était puissant.

Enfin, il y a eu… le FU ( cherche pas à comprendre, c’est son nom de code). Un Français aux jambes bien plantées, au regard d’enfant et au sourire généreux. Grâce à lui, j’ai découvert que mon cœur abimé était presque complètement guéri et qu’il était prêt à aimer, à nouveau. Chabadabada…..

Que restera-t-il de voyage? Que restera-t’il de ces étoiles filantes ? Elles laisseront des traces. Certaines seront durables, d’autres, éphémères. Elles installeront une nostalgie douce-amère dans mon cœur. Il faudra que j’accepte de les voir s’éloigner puis disparaître. Avant de renaître, ailleurs, sous une autre forme. Ou dans un autre voyage, sans doute.

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